Nouvelles Éclair - 2

Musique classique

Michèle Peyrat

Ras-le-bol de Mozart, Bach et tous les autres. Marre de la musique classique. En plus, quand il sort le dimanche, j’ai chaque fois droit à un concert d’orgue. Je déteste l’orgue. Ce truc m’irrite les tympans. Une vraie torture que je ne peux arrêter. J’essaie de me boucher les oreilles comme je peux, mais c’est quasi impossible pour moi. Du coup, j’essaie de dormir. Les heures s’écoulent lentement. Une fois de retour, je réclame son attention. S’il omet de me caresser la croupe, je retourne me coucher.

À chacune de ses sorties, je maudis l’éleveur qui lui a conseillé de laisser la radio allumée quand il laisse son chien tout seul. Paraît que cela lui fait l’effet d’une présence dans la maison. Bof ! Si au moins, il changeait de chaîne de temps en temps.

Haut en couleurs

Gabriel Langevin

Moi, je vais te dire un truc facile à retenir : je ne bois que du rosé… et du rosé français ! Tu me feras pas avaler du rouge ou du blanc : le rouge, parce que ça tache et le blanc, parce que ça n’a pas de couleur.
Tandis que le rosé, il me fait penser à la peau de fesses des femmes. Bon d’accord, j’en ai vu qu’en photo, mais je sais quand même qu’elles ont le cul rose comme le vin que je préfère.
Et ce n’est pas pour rien qu’on a donné le nom du rosé à une fleur. T’en connais, toi, des fleurs qu’on appelle blanc ou rouge ? Non, alors t’es obligé de me donner raison : le rosé, c’est le meilleur.
Mais attention, pas n’importe lequel ! Le français est au-dessus du lot, parce que ce sont nos vignerons à nous qui l’ont trouvé. Les Grecs, ils avaient l’huile d’olive ; les Romains les amphores, mais rien à mettre dedans ; le pinard, c’est nous qu’on l’a inventé.
Si tu as rien à dire contre, tu me sers un rosé bien frais, parce que réfléchir et parler, ça me donne soif !

Coup de foudre

Jean-Patrick Beaufreton

Thomas était un amoureux sans concession. Il rêvait d’elle seule, la semaine n’en finissait pas avant le dimanche endiablé. Le jour venu, Thomas courait à grandes enjambées pour ne manquer aucune pirouette de sa favorite. Il était le premier présent, venu admirer et soutenir son équipe. Sa dulcinée n’avait pas seulement de belles jambes, mais aussi un capitaine et des maillots.
Ce dimanche-là, l’enjeu était de taille : la qualification pour le niveau supérieur. Son équipe allait gagner, Thomas en était convaincu. Les premières minutes montraient la tension dans l’air, les hourras grondaient dans la tribune, les éclairs de génie engendraient des passes sensationnelles.
Quand tout bascula sous les yeux impuissants des spectateurs : Thomas, frappé par la foudre, s’effondra au bord de la pelouse. Quelle terrible fin que mourir de plaisir.

Le premier novembre

Josette Masson

Lumière ! Une ombre noire, rapide rompt la clarté, tourbillonne, virevolte, visiblement dérangée. Se pose sur le papier blanc déroulé.
Ah ! Tu es la mouche ! Je te connais depuis soixante – dix ans. Tu me connais tout autant sans le savoir. Et même davantage. Depuis des millénaires. Tu n’as pas changé.
Que fais-tu là, insectus domesticus, isolé, solitaire ? Minuscule tête noire et ronde, petit corps léger, abdomen aux ailes diaphanes, six fines pattes, segments actifs se frottant l’un contre l’autre ; pause ; silence ; envol ; hyperbole ; looping ; frôlement ; évitement. Disparition.
Lumière éteinte.
Ce matin, je laisse la tapette aux oubliettes.
Bonne journée ma fine mouche !

Le noyau de l’avocat

Robert Faune

— Ce brave citoyen ne voulait que protéger l’innocent et la victime. Son unique volonté était d’éclairer la Justice si prompte à se fourvoyer en écoutant escrocs et beaux-parleurs. Quel forfait reprochez-vous à celui qui rêvait de secourir la veuve et l’orphelin, selon l’expression consacrée ? Il ne mérite que la clémence.
La voix du plaideur vibre, exulte, tandis que le sourire du président atteste un désaccord profond.
— Maître, s’exclame celui-ci, un simple détail fera choir votre argumentaire !
Et sans effets de manches, le magistrat détaille son point de vue :
— Le prévenu s’est fait prendre en selfie avec ses clients devant le tribunal ; ce qui a intrigué ses confrères, vrais ceux-là, qui l’ont soupçonné avant de le dénoncer. En fait, l’accusé est tout, sauf avocat ! Je lui offre deux années derrière les barreaux pour s’amuser à parfaire ses plaidoiries qui n’auront de vocation que théâtrale !

La résolution de Mona

Joëlle Caujolle

Mona est querelleuse de nature et pense être le bouc émissaire de son entourage. Loin d’être bavarde comme une pie ou muette comme une carpe, elle médite longuement ses répliques avant de lancer ses flèches.
Elle n’est ni douce comme un agneau ni une véritable harpie et n’use pas de grossièretés, s’en tenant par élégance, au registre animalier.
Quel chameau ! a-t-elle l’habitude de dire quand elle en veut à quelqu’un.
Le cheval a sa préférence, toute méchanceté lui faisant murmurer : quelle rosse ! Si Mona raconte un événement où une femme de mauvais caractère s’est montrée agressive, elle conclut le récit par : c’est une vraie carne !
Son patron, au caractère intransigeant, est selon elle, une sacrée peau de vache et dans sa bouche, c'est presque un compliment.
La résolution de Mona en ce début d’année 2025 est qu’elle surveillera mieux son langage.

Sylvain

Michèle Peyrat

Deux mois que cela dure. Elle n’en peut plus. Jour et nuit, il est affalé dans le fauteuil du salon. Une casquette vissée sur la tête.
Quand son fils lui a présenté Sylvain, elle n’a vu aucun inconvénient à ce qu’il loge avec lui dans sa chambre. Lorsqu’elle passait sa tête dans l’antre de son fils, elle apercevait son nouveau copain, couché sur le lit ou debout, dans un coin et elle leur jetait un regard attendri. Peu de temps après son arrivée, Sylvain a fait une mauvaise chute et depuis il passe toutes ses journées, le corps vautré sur le divan. Elle ne veut pas le chasser, mais elle en a marre de voir sa famille, ses amis le regarder d’un mauvais œil. Certains sont gênés quand d’autres rient de sa dégaine.
Heureusement, les meilleurs amis de son fils viennent chercher Sylvain, le squelette qu’ils lui ont offert pour la réussite de sa première année de kinésithérapeute. Ils espèrent réparer le socle sur lequel il trônait avant sa terrible chute.

Matin blême

Eric Scilien

Ce matin, je me suis levé comme d’habitude, à 6h20. Il me faut une heure pour me préparer et je déteste arriver en retard au bureau.
J’ai traîné des pieds jusqu’à la cuisine. Je serais bien resté au lit, au chaud sous la couette. J’ai effectué les gestes rituels, le dosage du café et l’eau dans la casserole pour mon œuf coque.
Ce n’est qu’après avoir pris ma douche, au moment de chercher mes affaires dans la penderie, que j’ai réalisé l’incurie de la situation. Mais qu’est-ce que j’étais en train de faire ?
J’étais en retraite, je n’avais plus besoin d’aller travailler ! C’était n’importe quoi. D’autant que cela faisait au moins dix ans que je n’étais plus en activité. Et peut-être même douze. Ou quinze.
Soit, j’avais vraiment du mal à m’y faire, soit c’était plus grave – nettement plus grave. J’ai senti l’ombre d’Alzheimer planer autour de moi. Ne devrais-je pas mieux appeler le docteur tout de suite ?
Et puis non, j’y réfléchirai plus tard. En voiture, sur le trajet du bureau.

Eric Scilien, auteur de "Toute ma vie ou presque" (Bookless Éditions)

Pas si facile

Henri de Serres-Justiniac

Il n’est pas si facile de créer un monde en sept jours, ni de fabriquer les sept merveilles du monde.
Pas si facile à Blanche-neige de s’occuper des 7 nains ou pour un homme de tomber sept fois avant de se relever, comme le dit le proverbe japonais.
Pas si facile d’apprendre par cœur les sept couleurs de l’arc-en-ciel, de reconnaître dans le ciel les sept étoiles de la Grande Ourse ainsi que d’apprendre par cœur les sept éléments du premier groupe du tableau périodique de Mendeleïev.
Pas facile de résister aux sept péchés capitaux, tout comme de subir 7 ans de malheur après avoir brisé un miroir !
Pas si facile de tourner sept fois la langue dans sa bouche, avant d’affirmer de fausses vérités.
Alors qu’il est si facile pour un homme et une femme, dans le dénuement le plus complet, d’atteindre le septième ciel !

Mutation

Jean-Pierre Bouguier

Très précocement, les raisonnements de Stephen Nonesuch démontrèrent une intelligence visionnaire d’une vigueur extrême. Il collectionna les doctorats scientifiques, les admirations embarrassées de ses professeurs, et celles, plus mitigées, de ses camarades, vite refroidis par son sourire méprisant. Hirsute et mal habillé, Stephen inspira la moquerie, avant que ses qualités stupéfiantes suscitent un mélange de louange et d’effroi.
Au service d’un industriel multimilliardaire, Stephen Nonesuch réussit à concevoir un processeur mental, une sorte d’ordinateur quantique dont les ressorts immatériels se nourrissent des émotions nées dans les cerveaux qui l’interrogent. Il parvint ainsi à démultiplier les pouvoirs et le discernement des cerveaux artificiels. Stephen Nonesuch est le véritable responsable de la toute-puissance universelle de son employeur. Les généticiens considèrent que son génome présente des mutations stables de notre espèce, ils le dénomment déjà homo super sapiens.

Le garçon

Claudine Souques

Bien avant, il y a eu ce grain. L'air embaume maintenant de senteurs chaudes et épaisses qui montent de la terre mouillée et fraîche. L’averse a été brutale et l’orage gronde encore, accroché aux cimes montagneuses.
Tout là-bas, sur le sentier qui serpente entre les champs, au pied des collines, un point s’avance lentement et grossit peu à peu. C’est un garçon avec une cape de berger, un bâton et des godillots.
Où va-t-il ?
Il chante et en marchant, ses pas marquent le rythme.
Tout est en suspens, apaisé : le ciel sombre, presque noir, là-bas, au fond, le bruit sourd du tonnerre et le garçon qui chante.
Il marche, il ne s’arrête pas. Il avance toujours, regarde devant lui, concentré.
Il arrive à ma hauteur et me dit qu’il est le messager de la lune, du soleil, du vent et de la pluie.
Il me dit qu’il est leur trait d’union avec la terre, mais qu’il est juste de passage.
Et il passe devant moi.
Moi, maintenant, j’attends son retour, même si je sais qu’il n’y aura pas de retour.

La fois de trop

Nathalie Agier

Salle comble. Tous les regards sont braqués sur toi. Une fois encore. Tu es le roi de la fête. Je te dévisage, toi le virtuose des mots, le magicien qui éclipse avec maestria notre sommeil. Tu rayonnes dans ton costume neuf, tes yeux brillent, émus de cette nouvelle reconnaissance. Les applaudissements fusent en rafales. Les flashs crépitent. Le premier prix, une fois de plus. Ton triomphe est aussi solaire que ton roman est noir.
À la vôtre ! Les flûtes s’entrechoquent. Je sens la bile monter dangereusement, acide. Une furieuse envie de vomir. Un enfer… Tu te diriges vers les toilettes, je te succède subrepticement, éternel second. Tu es de dos, face à l’urinoir, paisible. Je m’avance à pas de loup et bondis tel un fauve. Mes doigts enserrent brutalement ton cou gracile, leurs jointures blanchissent. Tu t’écroules comme une poupée de chiffon, les yeux révulsés par la frayeur, toi qui aimais tant la répandre.
— La fête est finie ! Tu ne me voleras plus la vedette !

Le nid du rêve

Josette Masson

Il était une fois un petit caillou malencontreusement resté au sol qu’un balai aspirant avait oublié. Est-ce lui que le petit oiseau avait avalé ? Il se tordait de douleur. Son petit corps duveteux roulait d’un côté, se redressait, roulait de l’autre. Mais il ne criait pas.
Elle aurait voulu le prendre dans ses mains, avec précaution, lentement, sans l’effrayer, pourvu qu’il la laisse approcher sans crainte. Elle semblait lutter contre son désir de l’aider.
C’est alors que le bec de l’oiseau s’accrocha au doigt de sa main qu’il pinça. Ainsi arrimé, elle put caresser doucement sa tête, son cou afin que le caillou supposé pût disparaitre enfin.
Blotti dans ses mains, il retrouva une respiration apaisée, ses yeux papillotèrent, son bec relâcha son étreinte, il s’envola.

Sérum

Laure Gobron-Houssiere

Léa, trois kilos, est déposée sur le ventre maternel. Tout est beau chez elle : son duvet blond, ses narines palpitantes, sa bouche cerise.
C’est mignon si petit ! Il ne faudrait pas que cela grandisse !
C’est le crédo de la mère pétrie d’un amour fou.
Léa grandit sans père. Elle est confiée à une nourrice pour que la mère, chercheuse en biologie cellulaire, se consacre à ses travaux.
Léa vient d’avoir trois ans. Sa mère juge que l’enseignement de l’école n’est pas l’éducation qu’elle veut donner à sa fille. L’enfant doit fuir l’obligation scolaire. Elle l’emmènera à l’étranger.
Avant, il lui faut annihiler les effets du temps, à défaut de pouvoir l’arrêter. La mère n’accepte pas que sa petite fleur croisse, bourgeonne puis se flétrisse.
Elle lui injecte le composé destructeur des hormones de croissance qu’elle a mis au point.
Mais la vieillesse rattrapera la mère, simple mortelle, condamnant Léa à l’enfance éternelle, seule face au temps qui n’aura aucune prise sur elle.

Le "filtre" d’amour

Mai Voisard

On cherche les ingrédients, de l’original, de l’exotique, du piment, du poivre de qualité pour le subtil mélange.
Après ces tâtonnements, on pense avoir réussi la combinaison idéale qui ravit le palais. Celle qui restera dans les mémoires et durera.
Les ingrédients, si fins soient-ils, se fanent, et le goût n’est plus le même, il paraît fade subitement. Le mélange, trop approximatif, a perdu de sa sapidité. Certaines saveurs ont disparu et celles qui restent ne sont pas les meilleures.
On avait tous pris les mêmes éléments sans le savoir : de l’espoir, de la poudre aux yeux, de la joie, de la tendresse, du désir, des rires, du soleil, mais il manquait le lien.
La recette se délite. Il ne reste, au fond du moule, que de la mélancolie, de l’attachement, au mieux de l’amitié, mais aussi des reproches, des regrets ou même des remords.
Il ne reste alors qu'à tout recommencer afin de concocter la nouvelle recette, celle qui durera toute une vie.

Mai Voisard est l'auteure du recueil Ce que bon me semble.