Pourtant j’ai un bon profil, j’ai la trentaine, je suis Community Manager, comme on dit, c’est-à-dire que je gère les réseaux sociaux de ma boîte. J’habite en Bretagne, dans une belle maison en pierre sur la côte cornouaillaise. Sans être le sosie parfait de George Clooney, en général, je plais.
Il y a quelques mois, en mai précisément, l’une des participantes de notre club de lecture a refusé le café qu’on lui proposait, me laissant plein d’espoir. Sous le charme, je l’ai couvée du regard. Néanmoins, je n’ai pas osé l’aborder après la rencontre. Je sais juste qu’elle aime les dystopies se déroulant dans un futur proche. Elle nous a présenté Un monde presque parfait de Laurent Gounelle. Pour ma part, j’ai toujours préféré les romans historiques mais j’ai bu ses paroles et cette dystopie est désormais mon livre de chevet. J’ai même pris goût aux romans d’anticipation.
D’ailleurs il est presque dix-sept heures trente, le moment tant attendu arrive. Elle était absente en juin et le club ne se réunit ni en été ni en septembre. Je ne suis pas certain qu’elle revienne. J’aimerais tant la revoir.
Je repose le journal du jour dans son présentoir et prends place dans le coin lecture où se déroulent nos rencontres littéraires. La documentaliste arrive et me salue. Elle apporte le café sur un joli plateau en mélanine rose.
— Vous êtes le premier, les autres vont arriver. Toujours pas de café pour vous, Monsieur Tristan ?
— Non, merci, Morgane, c’est gentil.
— Il faudra qu’on investisse dans du thé ou des infusions.
Je souris poliment, un peu incommodé par les odeurs pourtant aromatiques du café.
Les participants franchissent un à un le seuil de la médiathèque.
Je commence à en connaître certains, bien que les visages ne soient pas toujours les mêmes.
Tous s’installent sur les chaises et fauteuils confortables disposés autour de la table basse. Tandis que chacun commence à papoter de la météo, des soignants en tous genres qui font défaut dans nos villes – dermatologues, dentistes, cardiologues – je n’écoute que d’une oreille, j’espère encore que mon inconnue fasse irruption dans l’embrasure de la porte.
Morgane évoque maintenant son métier qu’elle adore, en particulier le désherbage, selon son expression. Il s’agit de trier les anciens livres et de faire de la place pour les nouveaux.
Elle sert en même temps le café devant les mines réjouies des lecteurs, lesquels sortent de leurs sacs de quoi prendre des notes ainsi que les livres qu’ils vont présenter. En les imitant, je lorgne le roman de mes voisines : Terrasses de Laurent Gaudé pour l’une et Tant que le café est encore chaud de Toshikazu kawaguchi, pour l’autre, je suis décidément cerné.
La documentaliste commence à énumérer les romans et bandes dessinées qu’elle a aimés. Elle nous invite à les regarder et à les emprunter, le cas échéant. Puis à tour de rôle les participants défendent l’ouvrage qu’ils ont choisi.
Alors que je ne n’y croyais plus apparaît à la porte ma non buveuse de café. Je retrouve des couleurs, en oublie la migraine que me provoque l’odeur du café.
Tandis qu’elle s’approche, je reconnais son parfum aux notes florales. Elle nous prie de l’excuser pour son retard et s’assied sur une des chaises qui restent vacantes, en face de moi. Elle me sourit, me regarde fixement de ses yeux verts en amande. Je suis au nirvana.
La documentaliste lui propose une tasse de café et devant ma mine déconfite, elle l’accepte.
Je n’en crois pas mes yeux, j’ai du mal à cacher ma déception. Cependant, au moment où elle plonge ses lèvres dans le sombre nectar, elle grimace tellement que je comprends qu’elle n’a pas osé refuser, cette fois-ci. Je soupire d’aise et souris intérieurement.
À la fin de la rencontre, nous échangeons tous les deux longuement devant la médiathèque. Le temps est doux pour un mois d’octobre. Elle s’appelle Clémentine, elle est venue à pied, habite à deux pas. La conversation est fluide, plaisante et les fous rires fréquents. Je lui prête mon exemplaire personnel des Liens artificiels de Nathan Devers que je viens de présenter.
— Merci, me dit-elle, vous m’avez donné envie de le lire, je vous le rendrai la prochaine fois. Ou si vous voulez, je peux vous inviter à venir prendre un petit café chez moi un de ces jours ?