La coiffeuse lui conseille, pour rompre avec son carré austère, une coupe mi-longue, dégradée, conservant assez de longueur pour relever ses cheveux en un demi-chignon, et laisser s’échapper des boucles tombant voluptueusement sur une épaule, d’un seul côté de son visage. Aurore reconnaît qu’un chignon comme celui que lui fait miroiter la coiffeuse, on n’en voit pas sur tout le monde. Mais elle redoute en même temps d’être déçue par le résultat, et surtout, qu’il n’enchante pas son mari. Elle voudrait tant revivre les premiers temps de leur union, lorsqu’il la dévorait des yeux.
— Avec cette coiffure, je vous garantis que vous ferez des ravages, lui assure la technicienne. Mais d’abord, on va refaire la couleur.
Aurore sourit, pleine d’appréhension, et, résignée, remet son destin entre les mains d’Adrienne.
L’opération est douloureuse : Aurore est honteuse d’exposer ainsi ce qui appartient à son intimité. Elle est gênée par le regard des hommes la découvrant, les cheveux tirés, aplatis par la crème colorante, comme s’ils la surprenaient dans sa nudité. Puis, le moment de la coupe est une autre épreuve. Elle appréhende toujours l’usage des ciseaux mutilateurs. Mais Adrienne la rassure et manie ses instruments avec virtuosité.
À côté d’elle, une cliente devise avec sa coiffeuse sur l’état du monde et les vicissitudes de la météo. De l’autre côté, sa voisine répond scrupuleusement aux questions qui lui sont posées sur l’opération du petit dernier, les déplacements professionnels de son mari et l’évolution de ses relations avec sa belle-mère, étalant joyeusement, à qui veut l’entendre, les détails de sa vie privée.
Peu à peu, à l’inquiétude succèdent l’espoir, la confiance, puis la certitude. L’opération est à présent terminée. Aurore se regarde. Elle se trouve magnifique. Ses cheveux relevés laissent apparente la ligne du cou et la courbure de la nuque. Le chignon crée une gracieuse symétrie avec le galbe de son front, comme elle le constate en tournant la tête pour contrôler sa coiffure dans un miroir latéral. Aurore dégage un peu l’encolure de sa robe. Une boucle chatoyante, plus ronde que les autres, se balance au bout d’une mèche de cheveux, effleurant, à chacun de ses mouvements, la naissance de son épaule en partie dénudée. Aurore secoue la tête. Une mèche vient se nicher dans le creux de sa clavicule, tandis que d’autres caressent la base de sa nuque. Les boucles se balancent, à la fois espiègles et sensuelles. Elles ne sont pas figées et plaquées sur les bords de son visage à la manière d’un accroche-cœur, mais libres et souples, prêtes pour l’amour.
Nul doute qu’avec cette coupe et l’agencement de sa chevelure, son mari la regardera avec un œil neuf. Elle imagine la scène lorsque son mari la retrouvera, dans quelques instants, ici même, à la sortie du salon de coiffure où ils ont rendez-vous. Aurore pressent que lorsqu’il la verra, il la serrera dans ses bras et, l’œil brillant, posera ses lèvres frémissantes sur les siennes. Il lui dira : « Comme tu es belle ! » et l’emmènera blottie contre lui vers leur soirée où, à coup sûr, il sera heureux de la voir faire l’émerveillement de tous.
Ce soir, il ne sera probablement pas assis auprès d’elle, car elle sait, d’expérience, qu’il sera placé auprès de ses collègues d’un côté de la longue table dressée pour l’occasion, tandis que les épouses seront regroupées à l’autre extrémité, comme ça avait été le cas pour l’anniversaire des 20 ans. Mais il la couvera du regard. Il la regardera avec tendresse et convoitise. Il sera fier d’arriver avec elle à son bras, et il attendra avec impatience le moment où, la soirée terminée, il l’enlacera, fébrile, dans l’ascenseur, avant de la ramener chez eux pour lui témoigner sa passion et la couvrir de baisers.
Sa transformation la réjouit. Sa coiffure est si féminine que, pendant qu’elle traverse le salon et se dirige vers le comptoir d’accueil, les hommes tournent la tête vers elle, les uns après les autres. Après avoir remercié Adrienne pour ses bons offices et s’être acquittée du tarif correspondant, elle enfile son manteau récupéré au vestiaire, et jette un dernier coup d’œil à son reflet dans le grand miroir jouxtant la sortie. Elle est confiante dans l’effet que produira son nouveau visage. Elle sait que cette coiffure ensorceleuse sera une invitation à la tendresse et à la volupté et qu’elle marquera un nouveau départ. Son mari sera séduit, charmé, ébloui.
Elle quitte le salon, rayonnante. Sur le trottoir, elle l’aperçoit. Il est là, à quelques mètres, qui l’attend. Il a le visage penché au-dessus de son téléphone mobile sur lequel il fait glisser son pouce avec dextérité. Elle s’approche et se poste devant lui, le visage illuminé. Il relève la tête. Elle esquisse un sourire, à la fois timide et enjôleur. Il la regarde en haussant les sourcils, et lui dit :
— C’est marrant ! Tu ressembles à la comptable de ma boîte, comme ça !
Puis il se détourne et lui lance en s’engageant prestement sur la chaussée :
— Bon, dépêche-toi ! Faut pas qu’on rate le bus.
Sylvie Fainzang