— Quand un fil se brise, il emporte avec lui celui qui le portait, ajouta la femme, le regard grave.
Louise haussa les sourcils.
— Vous voulez dire que… que vous contrôlez les vies des gens ?
La femme secoua la tête.
— Pas les contrôler. Les maintenir. Mais parfois, il y a des nœuds impossibles à dénouer. Alors je dois couper. C’est la partie la plus difficile.
Elle tendit la main et montra un fil qui semblait vibrer plus que les autres. Louise le fixa, fascinée. C’était comme si une vie entière était contenue dans ce fragile filament.
— Celui-là, c’est le tien, murmura la femme. Il est encore jeune, mais regarde…
Elle lui montra un nœud qui semblait presque impossible à défaire. Louise sentit une angoisse sourde monter en elle.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
La femme la fixa de ses yeux clairs.
— Que tu es à un carrefour. Tu es venue ici parce que tu sens qu’une partie de toi vacille. Je peux défaire le nœud, mais cela aura un prix.
Louise resta silencieuse. Elle ne comprenait pas tout, mais quelque chose, dans les paroles de la femme, résonnait en elle. Pourtant, une petite voix dans sa tête lui murmurait que tout cela était insensé. Les fils, les nœuds, ce pouvoir étrange… Était-ce réel, ou n’était-elle qu’une spectatrice du délire d’une vieille femme esseulée ? Les souvenirs affluaient malgré elle : une dispute violente avec sa mère, des mots qu’elle avait hurlés et qu’elle regrettait depuis. Et ce garçon, au lycée, qu’elle évitait chaque jour parce qu’elle avait peur de ce qu’il pourrait lui dire.
— Qu’est-ce que je dois faire ? murmura-t-elle.
La femme sourit de nouveau, mais cette fois, il y avait une étincelle de douceur dans son regard.
— Tu dois choisir. Je peux défaire le nœud, mais alors une autre partie de ton fil deviendra fragile. Ou tu peux affronter ce qui t’attend, et tenter de le dénouer toi-même.
Louise réfléchit. La pièce semblait soudain plus sombre, comme si les fils eux-mêmes retenaient leur souffle.
Quand elle sortit enfin de la maison, il faisait nuit. Une étrange impression l’habitait, comme si le monde autour d’elle vacillait, légèrement déformé. Le chemin rocailleux qu’elle avait emprunté semblait plus long, plus sinueux. Et à chaque pas, une question la hantait : avait-elle vraiment choisi ? Ou n’était-elle qu’un écho dans ce réseau de fils, un simple nœud en attente d’être coupé ? Malgré son trouble, une étrange légèreté s’insinua en elle, comme si quelque chose de profond s’était déplacé.
La maison, derrière elle, était plongée dans l’obscurité. Plus de lumière vacillante, plus de murmures. Mais dans le vent, il lui sembla entendre une voix :
— Le Fil tient toujours.
Louise s’arrêta, frissonnante. Une dernière pensée lui vint, vive et pressante : peut-être que cette maison n’était pas seulement un refuge. Peut-être qu’un jour, elle serait appelée à en prendre soin. Le vent s’était levé, balayant ses cheveux, et dans sa tête, l’écho de la voix semblait vibrer, comme un fil invisible entre elle et la vieille femme.