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Pour remercier votre visite jusqu'à cette page, La Nouve vous présente La promesse de la coiffeuse, écrite par Sylvie Fainzang et publiée à l'issue de son interview.
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La promesse de la coiffeuse

Alignées devant le miroir, les clientes étudient leur reflet. Anxieuses ou enthousiastes, elles vérifient l’état de leurs cheveux et supervisent les opérations successives qui leur sont infligées. Les unes ont les cheveux mouillés, attendant le coup de ciseaux salutaire destiné à leur redonner une nouvelle jeunesse. Elles surveillent la coiffeuse, guettant le moindre écart à la coupe demandée, quitte à devoir redéfinir les termes de leur accord sur les moyens de parvenir au résultat escompté. Les autres scrutent les morceaux de papier brillants enveloppant les mèches destinées à être éclaircies, ou inspectent leur chevelure partiellement ou totalement recouverte d’une crème colorante, appliquée en premier lieu sur leurs racines coupables. À l’orthogonale, les sièges sont occupés par des hommes, dont le passage dans le salon est plus fugace. Tout autour, des miroirs couvrent les murs pour permettre à la clientèle de juger du résultat des soins apportés à leur chef, de dos et de profil.

Les yeux plissés et les sourcils froncés sous l’assaut force 7 d’un sèche-cheveux ionique, des clientes suivent la progression de leur brushing. D’autres, laissées en souffrance sous le regard narquois d’un minuteur, fixent leur image, inquiètes du résultat qu’aura la transformation promise. D’autres enfin, satisfaites des tout derniers coups de peigne qui leur sont prodigués, sourient à leur miroir. Lorsqu’elles ne demandent pas tout simplement « la même chose que la dernière fois », la plupart discutent longuement de ce qu’elles souhaiteraient obtenir, des risques et des effets de telle coupe, optant pour une coiffure sophistiquée, sportive, faussement négligée, chic, garçonne... De temps à autre, elles jettent un coup d’œil sur le reflet de la cliente occupant le fauteuil voisin, soucieuses de savoir à quelle étape elle en est de sa transformation, ou pour voir si elle observe leur propre métamorphose.

Le patron de la boutique, coiffeur de son état mais qui a cessé la pratique de son art pour se concentrer sur la tenue de la caisse, assume néanmoins le rôle de conseiller-expert, débouchant, au besoin, sur la vente de produits capillaires. Lorsqu’il est désœuvré, il déambule parmi les coiffeuses appliquées à réaliser un lissage brésilien ou à façonner une frange. Il traverse le salon, s’arrête devant les habituées pour dégoiser quelques flatteries, puis retourne se poster derrière le tiroir-caisse surmonté d’un ordinateur où il enregistre les prestations fournies.

Aurore va régulièrement chez le coiffeur, en vue de dissimuler ses racines claires et de se faire couper les pointes, afin de conserver un aspect soigné. Cette fois-ci, elle y va dans le dessein de séduire son mari. Elle souffre de ne plus être regardée, admirée, complimentée ; elle traque les regards qu’il lance aux autres femmes. Aurore et son mari ne font plus guère l’amour. Son mari ne lui dit plus de mots tendres. Elle sent qu’elle ne le charme plus. Lorsqu’il est couché auprès d’elle, il allume une cigarette et s’empare invariablement de son smartphone pour consulter les cours de la Bourse.

Aujourd’hui, elle voudrait être belle. Elle aimerait attirer son regard, le reconquérir. Et puis, ce soir, ils sont invités à une réception qui se déroulera au restaurant. Le directeur général de la compagnie, dans laquelle il travaille, a invité quelques cadres à un dîner pour célébrer les trente ans de l’entreprise. Seront présents le directeur des ressources humaines, le secrétaire de direction, le directeur financier, et quelques collègues qui, comme lui, occupent des postes stratégiques. Elle sait que, si elle est admirée par d’autres hommes, cela attisera le désir de son mari.

Aurore a confié sa tête à Adrienne, visagiste. Adrienne propose à ses clientes la coupe de cheveux qui saura mettre en valeur leur visage, tout en restant attentive à leurs souhaits. Elle interroge les clientes et les sonde, soucieuse de comprendre ce qu’elles recherchent, et leur suggère une coiffure à la fois personnalisée et susceptible de répondre à leurs désirs profonds.

Espérant trouver la coiffure ou la couleur qui la rajeunira, Aurore a réclamé un catalogue des récentes collections. Elle le feuillette en attendant d’être prise en charge par Adrienne. Elle parcourt avec perplexité l’album qu’on lui a remis, le temps qu’elle fasse son choix. Un des modèles, cependant, retient son intérêt. Plaçant son index gauche en guise de marque-page, elle poursuit la consultation du catalogue.

— Alors ? demande la coiffeuse, de retour auprès d’elle.

Aurore montre le modèle choisi, mais Adrienne esquisse une moue dubitative et lui explique que non, cette coiffure ne lui ira pas.

Aurore se livre à elle, à demi-mot. Elle lui explique en riant qu’elle cherche à ce que son mari la regarde et la trouve jolie, comme autrefois. Mais son rire, Adrienne sait le déchiffrer. Elle y lit une souffrance, qu’elle va s’employer à alléger.

La coiffeuse lui conseille, pour rompre avec son carré austère, une coupe mi-longue, dégradée, conservant assez de longueur pour relever ses cheveux en un demi-chignon, et laisser s’échapper des boucles tombant voluptueusement sur une épaule, d’un seul côté de son visage. Aurore reconnaît qu’un chignon comme celui que lui fait miroiter la coiffeuse, on n’en voit pas sur tout le monde. Mais elle redoute en même temps d’être déçue par le résultat, et surtout, qu’il n’enchante pas son mari. Elle voudrait tant revivre les premiers temps de leur union, lorsqu’il la dévorait des yeux.

— Avec cette coiffure, je vous garantis que vous ferez des ravages, lui assure la technicienne. Mais d’abord, on va refaire la couleur.

Aurore sourit, pleine d’appréhension, et, résignée, remet son destin entre les mains d’Adrienne.

L’opération est douloureuse : Aurore est honteuse d’exposer ainsi ce qui appartient à son intimité. Elle est gênée par le regard des hommes la découvrant, les cheveux tirés, aplatis par la crème colorante, comme s’ils la surprenaient dans sa nudité. Puis, le moment de la coupe est une autre épreuve. Elle appréhende toujours l’usage des ciseaux mutilateurs. Mais Adrienne la rassure et manie ses instruments avec virtuosité.

À côté d’elle, une cliente devise avec sa coiffeuse sur l’état du monde et les vicissitudes de la météo. De l’autre côté, sa voisine répond scrupuleusement aux questions qui lui sont posées sur l’opération du petit dernier, les déplacements professionnels de son mari et l’évolution de ses relations avec sa belle-mère, étalant joyeusement, à qui veut l’entendre, les détails de sa vie privée.

Peu à peu, à l’inquiétude succèdent l’espoir, la confiance, puis la certitude. L’opération est à présent terminée. Aurore se regarde. Elle se trouve magnifique. Ses cheveux relevés laissent apparente la ligne du cou et la courbure de la nuque. Le chignon crée une gracieuse symétrie avec le galbe de son front, comme elle le constate en tournant la tête pour contrôler sa coiffure dans un miroir latéral. Aurore dégage un peu l’encolure de sa robe. Une boucle chatoyante, plus ronde que les autres, se balance au bout d’une mèche de cheveux, effleurant, à chacun de ses mouvements, la naissance de son épaule en partie dénudée. Aurore secoue la tête. Une mèche vient se nicher dans le creux de sa clavicule, tandis que d’autres caressent la base de sa nuque. Les boucles se balancent, à la fois espiègles et sensuelles. Elles ne sont pas figées et plaquées sur les bords de son visage à la manière d’un accroche-cœur, mais libres et souples, prêtes pour l’amour.

Nul doute qu’avec cette coupe et l’agencement de sa chevelure, son mari la regardera avec un œil neuf. Elle imagine la scène lorsque son mari la retrouvera, dans quelques instants, ici même, à la sortie du salon de coiffure où ils ont rendez-vous. Aurore pressent que lorsqu’il la verra, il la serrera dans ses bras et, l’œil brillant, posera ses lèvres frémissantes sur les siennes. Il lui dira : « Comme tu es belle ! » et l’emmènera blottie contre lui vers leur soirée où, à coup sûr, il sera heureux de la voir faire l’émerveillement de tous.

Ce soir, il ne sera probablement pas assis auprès d’elle, car elle sait, d’expérience, qu’il sera placé auprès de ses collègues d’un côté de la longue table dressée pour l’occasion, tandis que les épouses seront regroupées à l’autre extrémité, comme ça avait été le cas pour l’anniversaire des 20 ans. Mais il la couvera du regard. Il la regardera avec tendresse et convoitise. Il sera fier d’arriver avec elle à son bras, et il attendra avec impatience le moment où, la soirée terminée, il l’enlacera, fébrile, dans l’ascenseur, avant de la ramener chez eux pour lui témoigner sa passion et la couvrir de baisers.

Sa transformation la réjouit. Sa coiffure est si féminine que, pendant qu’elle traverse le salon et se dirige vers le comptoir d’accueil, les hommes tournent la tête vers elle, les uns après les autres. Après avoir remercié Adrienne pour ses bons offices et s’être acquittée du tarif correspondant, elle enfile son manteau récupéré au vestiaire, et jette un dernier coup d’œil à son reflet dans le grand miroir jouxtant la sortie. Elle est confiante dans l’effet que produira son nouveau visage. Elle sait que cette coiffure ensorceleuse sera une invitation à la tendresse et à la volupté et qu’elle marquera un nouveau départ. Son mari sera séduit, charmé, ébloui.

Elle quitte le salon, rayonnante. Sur le trottoir, elle l’aperçoit. Il est là, à quelques mètres, qui l’attend. Il a le visage penché au-dessus de son téléphone mobile sur lequel il fait glisser son pouce avec dextérité. Elle s’approche et se poste devant lui, le visage illuminé. Il relève la tête. Elle esquisse un sourire, à la fois timide et enjôleur. Il la regarde en haussant les sourcils, et lui dit :

— C’est marrant ! Tu ressembles à la comptable de ma boîte, comme ça !

Puis il se détourne et lui lance en s’engageant prestement sur la chaussée :

— Bon, dépêche-toi ! Faut pas qu’on rate le bus.

Sylvie Fainzang

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