Entre le choix d’un sujet et son écriture, il se passe un laps de temps, une durée, une incubation plus ou moins longue suivant les gens, et c’est peut-être le plus douloureux moment, la partie la plus pénible du labeur. Il y a là une attente et un malaise intolérables. Rien ne vient, il faut s’arracher de l’esprit des idées qui n’existaient pas et dompter l’apathie du cerveau.
L’isolement, la concentration sont bénéfiques à ce grand effort. On songe, on s’absorbe. Si la vision tarde, ne vous découragez pas. reprenez-la le lendemain et du fait d’y avoir réfléchi la veille, elle apparaît souvent plus nette. On recommence et on note à mesure. Plus le sujet sera loin de vos habitudes et de votre tournure d’esprit, plus il vous faudra de travail et de volonté. Portez en vous votre sujet, portez-le longtemps, portez-le partout. Il finira par venir à vous.
On conçoit que l’inspiration soit toujours un effort, puisqu’elle est une création. La verve vient ordinairement par l’application, par la concentration et non au hasard et par fantaisie. Il faut, en un mot, se monter l’imagination et la sensibilité.
On a plus ou moins d’imagination, mais on peut toujours aiguiser, développer, perfectionner la part qui nous revient.
Votre imagination reste-t-elle froide, nourrissez-la d’excitants ; lisez des choses qui se rapportent à votre sujet. Voulez-vous peindre une forêt que vous n’avez pas sous vos yeux ? Lisez, pour vous mettre en train, la description de la forêt de Fontainebleau, dans L’Éducation sentimentale de Flaubert, celle des Goncourt dans Manette Salomon, le Voyage aux Pyrénées de Taine, des auteurs plus contemporains aussi. Réveillez par la lecture votre imagination assoupie ; ce procédé réussit toujours.
Que de fois ne vous est-il pas arrivé d’être sans idée dans le cerveau, à ne plus savoir si vous êtes capable de sentir quoi que ce soit ! Parmi les excitateurs et les modificateurs imaginatifs, il n’en est pas de meilleur que la lecture, parce qu’elle a cet avantage qu’elle s’adapte à nos exigences et que nous pouvons choisir les pages dont nous voulons nous aider.
Vous passez au coin d’une rue, une musique s’élève ; vous sortez d’un concert ; vous venez de voir un paysage, et tout à coup les idées s’éveillent, l’imagination change d’état et de disposition. Un rien suffit à modifier notre être mental ou intellectuel. La culture de l’imagination est d’une importance extrême. Il faut qu’elle soit permanente, entretenue, suivie, car tout dépend d’elle, La sensibilité elle-même, au point de vue littéraire, n’est que l’art de se rendre ému par l’imagination.
Qu’est-ce que l’imagination ? Le pouvoir de se représenter les objets sous forme de tableaux et avec leurs détails.
La mémoire entre bien pour moitié dans l’imagination littéraire. Faites, au mois d’août, une description d’une chute de neige. C’est la mémoire qui entre en jeu. Vous décrirez ce que vous avez vu ; vous évoquerez par le souvenir.
Notre esprit est un fond photographique où demeure peint, plus ou moins longtemps, tout ce que nous avons vu. C’est un trésor qui s’accumule sans cesse et où nous allons puiser. Il faut donc enrichir, autant qu’on le peut, ce trésor ; bien regarder ce qu’on voit, noter ce qui frappe, observer en détail, relever les circonstances, emmagasiner et fixer ses sensations de tout ordre, nature, caractère, art, en se disant que c’est là qu’on ira puiser, et que tous ces éléments, c’est l’activité de la mémoire qui les combinera sous le nom d’imagination.