Les affres de l’auto-publication

Le 23/12/2022 0

La grande liberté de l’auto-publication est un profit indéniable, supérieur aux lettres de refus standardisées ; mais si elle protège l’éditeur, elle s’exerce parfois aux dépens du lecteur. Comment trouver le juste équilibre ?

Ne jetons pas la pierre sur untel ou unetelle, ce serait injuste à l’égard des autres fautifs oubliés. Prenons un exemple que nous appellerons Olivier (il se reconnaîtra), il écrit des nouvelles ; on ne saurait que l’encourager !

Comme il souhaite rédiger des histoires terrifiantes, il trouve un titre accrocheur : Angoisses et tremblements et en route. Olivier est fier. Pour attirer le chaland, il compose un résumé de chacune des dix nouvelles qu’il a réunies. Prenons la première : « Charles et Henri enquêtent sur le meurtre d’un homme retrouvé dans une déchèterie (sic). Leur investigation les mène dans le milieu anarchiste . » Enfin, le recueil de 72 pages est bouclé.
Cherche-t-il un éditeur ? L’histoire ne le dit pas ; mais Olivier aboutit à l’auto-publication, sous couvert d’un site qui en fédère à la pelle. Angoisses et tremblements a un ISBN et il s’affiche sur la toile !

Lecteur attentifPlace au lecteur. Que découvre-t-il ? Des fautes d’orthographe : la première accroche déjà, et une bonne trentaine en 72 pages.
Certains ne les remarquent pas ou les excusent, mais un éditeur ne voit que ça ! Passons outre et lisons les nouvelles : dans la déchetterie, les deux enquêteurs sont appelés, mènent leurs investigations et le premier indice déniché les conduit au coupable… quelle angoisse, on en tremble encore !
J’évoque la première nouvelle, mais les neuf autres sont du même tonneau.

Quelle erreur a commise Olivier ? Elle tient en un mot : la précipitation.
Ses copains diront qu’il est génial, sans fournir d’argument objectif (on sait faire des éloges creuses), les censeurs déclareront qu’il n’a aucun talent, l’animateur d’atelier estimera qu’Olivier dispose d’un premier jet (tant d’artistes restent au stade du projet !) Il lui reste à le retravailler.

Pour mener un récit du début à son terme, cinq étapes attendent le créateur :
1. le sujet : par exemple un cadavre découvert au milieu des ordures ménagères.
2. les éléments du récit : chercher les informations, idées, procédures, démarches, etc. etc. aucune limite, aucun ordre, on cueille et recueille un maximum de données : quand et qui décide d'arrêter le tapis de tri d’une déchetterie ? On en note toujours trop et tant mieux.
3. l’organisation des éléments : certains jureront qu’ils ne font jamais de plan ! Sur papier, OK, mais dans leur tête, regardez ce qui se passe. Le résultat se manifestera au niveau du lecteur : bien mené, le récit captera l’attention ; trop vite ficelé, il apparaîtra comme étrange, incohérent, plat (le tapis de la déchetterie tourne encore quand les enquêteurs arrivent, mais les sacs contenant les morceaux de cadavre ne sont pas encore passés !)
4. l’écriture : à cette étape, le rédacteur jette un premier jet comprenant fautes d’orthographe, de style, de logique, de cohérence. Qu’importe, quand un cuisinier casse les œufs et les bat, ça ne ressemble pas au plat final ! L’auteur crache ce qui lui traverse les méninges et les anecdotes sur les bourdes de brouillon forment un bêtisier que chaque écrivain garde pour ses proches.
5. la relecture, ou plutôt les relectures : vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. Le proverbe est clair, ce travail fera toute la différence entre l’auteur consciencieux et les autres. Ceux-ci auront juste corrigé quelques fautes d’orthographe ; celui-là se sera rendu compte qu’il n’a pas donné tous les indices pour résoudre l’intrigue, il verra qu’il manquait un point pour être cohérent, il sentira qu’il a livré la solution avant même d’avoir posé le problème, il comprendra que ça boite ici, que ça coince là (à quatorze, les enquêteurs considéraient qu’ils avaient sauté le repas du midi : quels policiers perspicaces !) L’écrivain recommencera une fois, cinq fois ; Bernard Werber en avoue neuf. Puis il abandonnera son ouvrage et le retrouvera un an plus tard.

Eh oui, écrire, ce n’est pas que tenir un crayon, mais aussi faire preuve de modestie, de ténacité, d’humilité, de constance et bien d’autres qualités qui bouffent du temps. Olivier ne manque pas de talent, mais de patience !
Qu’on dise aux candidats – à la publication ou un concours – que la précipitation a de graves conséquences : les rayons encombrés de livres que vous ne liriez pas vous-mêmes si un autre les avait écrits, les bons livres (même si l’adjectif n’a aucune définition universelle) écrasés sous les brouillons inaboutis, les arbres abattus sans utilité et la culture dévalorisée par ce gaspillage de moyens.
L'auto-édition peut être une gloire, si elle ne devient pas le rendez-vous des margoulins.

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