La collection Temps passé, initiée par La Piterne, explore les textes de format court tombés dans le domaine public. La sélection repose sur des lectures à foison et s’arrête à l’originalité, soit du thème, soit de son développement.
Quelle ne fut pas la surprise en dénichant La Tour du Diable de Jules Brisez, une des nombreuses histoires où intervient Satan. Le sujet est tellement éculé, qu’il était tentant de passer à côté sans s’y attarder. Et pourtant…
En 1835, Jules Brisez produit un court récit exposant l’origine d’une construction dans la ville de Soissons. Banal pour un "antiquaire" de l’époque, ce qui correspond à un historien local d’aujourd’hui. La préface, d’une grande rigueur intellectuelle, militait pour la reconnaissance de la culture soissonnaise et le regret — classique — de voir l’abbaye de Saint-Jean-des-Vignes, devenue triste comme une ruine, silencieuse comme un tombeau. Dans ces conditions, l'envie était grande de tourner la page avec l'espoir d’une histoire moins prévisible. Vite, le sélectionneur survole les titres et les premières lignes en quête d’un hameçon qui accrocherait son œil et son esprit.
Le titre La Tour du Diable paraît de prime abord d'un maigre attrait. Mais le ton plaisant utilisé par Jules Brisez pour évoquer d’entrée de jeu un moine de l’abbaye Saint-Jehan-des-Vignes, bon vivant comme quasi tous avaient la renommée, arrête le regard. Les scènes du même tonneau s’enchaînent avec le sourire au coin des lèvres ; les néologismes émaillent le texte, où une buverie à grand coup de brottines cardinalise le nez du prieur du chapitre des chanoines de Saint-Pierre (eh oui, les références au vrai Soissons sont présentes).
Rangez vos dictionnaires, Brisez utilise un vocabulaire qui s’intéresse plus aux effets de la bouteille qu’au seul tire-bouchon.
En 1835, l’auteur servait déjà une soupe aux choux digne de Villeret et de Funès.
Bien avant la séparation des églises et de l’État, il taillait la bavette aux moines et aux prieurs.
Les râleurs, à propos des lexiques peu académiques, trouveront là de quoi alimenter leurs aigreurs d’estomac.
Un sujet ordinaire dans un style qui l’est beaucoup moins ; la publication de La Tour du Diable dans la collection Temps passé se veut un hommage rendu au fameux inconnu que reste Jules Brisez.