La concision, qualité indispensable dans le style

Le 28/02/2024 0

Albalat a donné la première des trois qualités du style : l’originalité. Il nous en livre la deuxième : la concision... et il ne le répétera pas.

La concision est l’art de renfermer une pensée dans le moins de mots possibles. En langage contemporain, il dirait "faire court" et il combattrait le principe de "noyer le poisson dans l’eau". Il avouait même ne jamais être attiré par les phrases où il y a trop de mots.
La concision ne réside pas dans la longueur physique des phrases : courtes ou longues, chacun a sa mesure. La concision, c’est l’art de faire sortir l’idée, de la ramasser, de condenser les éléments dans une forme de plus en plus serrée. L’éloquence n’est pas dans la quantité des choses dites, mais dans leur intensité. Cent vingt ans plus tard, Albalat serait partagé : tweeter en 250 caractères ou monopoliser l’antenne ? Les pratiques ont évolué.

Selon lui, le manque de concision est le défaut général de ceux qui commencent à écrire et qui ne se surveillent pas. Les trois quarts des auteurs se contentent d’une forme qu’ils croient définitive et que le destinataire refait à la lecture.
La concision est donc une affaire de travail. Il faut nettoyer son premier jet, le vanner, le cribler, le passer au tamis, lui ôter la paille, le clarifier, le pétrir, le durcir, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de copeaux au bois, jusqu’à ce que la fonte soit sans bavure, et qu’on ait rejeté toutes les scories du métal. Voilà un beau langage de paysan et d’artisan des années 1900 ; l’intention reste la même chez les nouvellistes d'aujourd'hui.

Quand vous pouvez retrancher des termes à une phrase, jusqu’à ce que vous arriviez à l’état figé, solide, indestructible qu’il attribuait à Pascal, La Bruyère et Montesquieu, votre style reste à travailler. En un mot, il vous faut peser chaque mot pour exprimer la chose en intégralité. Ce que Flaubert résumait en : La prose n’est jamais finie.
On emploie trop de mots, parce qu’on est embarrassé pour exprimer son idée ; on rôde autour. Quand tous ces mots sont écrits, ils semblent inséparables de l’idée ; on ne peut plus voir la pensée qu’avec ses filaments. Il faudrait dégager ce qu’on veut dire, secouer la terre qui adhère aux racines de la plante. Certains styles souffrent de ce malheureux défaut de diffusion. Les mêmes choses seraient saisissantes, si elles étaient ramassées.

Pour vérifier les propos d’Albalat, nous avons soumis la phrase écrite par Pierre Loti avec 35 mots : Aujourd’hui, jour quelconque, en pleine splendeur d’été, voici tout à coup une agitation inattendue des cloches de là-bas : l’église de Fontarable, l’église d’Irun, les couvents des moines sonnent, sonnent, comme pour les grandes fêtes carillonnées. Elle se concentre en Aujourd’hui, jour ordinaire d’été, les églises et les couvents d’Espagne se mettent à carillonner comme pour les grandes fêtes. Les 19 mots contiennent les mêmes informations, mais la stupeur de l’auteur semble atténuée.
La longueur de la phrase est donc un élément à prendre en compte, surtout dans les nouvelles, concentrées par nature ; toutefois le nombre de mots n’est pas le seul critère de choix, la volonté d’insister ou la répétition inconsidérée de l'information pousseront vers le maintien intégral ou sa quasi-élimination.
Refuser l’idée de la concision est dangereux, s’y soumettre sans réflexion serait mortifère.

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