Emmelina est la fille de Pierre-André Irnois, un homme qui « avait eu son berceau fort bas ». Déserteur, il se cacha chez une dame qui « raconta son histoire ». Gobineau enchaîne : « M. Rousseau de Genève embrassa publiquement Irnois en l’appelant son frère ; M. Diderot l’appela aussi son frère, mais il ne l’embrassa pas ». Puis Irnois réunit une incroyable fortune et se maria avec « la fille d’un spéculateur comme lui ». De cette union, naquit « une pauvre fille maltraitée par la nature », aux traits disgracieux et à l’intelligence moribonde. Son existence se confinait entre des parents soucieux et deux tantes, Mlles Catherine et Julie Maigrelut, « tout ce qu’on peut désirer de plus parfait comme types de vieilles filles » qui la couvaient.
La richesse du père est connue de tous, mais les prétendants avertis détournent leur chemin. Jusqu’au jour où M. Irnois est convoqué à la cour de l’empereur où l’attend le comte de Cabarot, courtisan arriviste, qui exige de convoler avec l’héritière, sans même la connaître, ni l’avoir aperçue.
Pendant ce temps, cloîtrée dans sa chambre, la malheureuse infirme ne vit que pour l'apprenti à figure d'ange qu'elle aperçoit de sa fenêtre. Comment l’épreuve du mariage sera-t-elle comprise et subie par l’innocente qui « à dix-sept ans encore, prenait Peau d’Âne, ou le Chat Botté et passait toute une journée dans sa compagnie » ?
Arthur de Gobineau dépeint le monde étriqué des « nouveaux riches », qu’il place sous l’Empire et pose le regard sur le monde du handicap, autant physique que mental. Son approche est marquée par le souci de bientraitance, pour utiliser un terme actuel : sans livrer sa solution au problème qu’il aborde, l’auteur laisse percevoir que la meilleure thérapie serait la quiétude ; le père est dérouté, la mère un tantinet couveuse et les tantes espèrent le calme pour la jeune fille, aux sentiments vifs et inconscients à la fois.
Certes, la nouvelle présente le défaut des textes écrits à l’époque où aucun autre loisir ne s’offrait aux lecteurs, sa longueur et sa monotonie déroutent de nos jours ; a contrario, elles montrent la langueur et le vide de la situation. Outre celle de l'écriture, la principale qualité du récit est de montrer le désarroi de ceux appelés désormais les « aidants », déjà palpable il y a plus d'un siècle et demi.
Arthur de Gobineau, dit le comte de Gobineau (1816-1882) était un diplomate et homme politique. Ses nouvelles et romans témoignent de son inspiration romantique ; il a aussi produit des essais polémiques et des travaux historiques et philologiques. Dans son Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-1855) il reprend l'idée que la noblesse française descend des envahisseurs germaniques, pour justifier leurs privilèges historiques de vainqueurs. Dans cet ouvrage, Gobineau reprend à son compte la théorie raciale de hiérarchisation des groupes humains, tout en la nuançant, étant donné que les « races » ont été selon lui suffisamment mélangées pour ne plus se différencier.
La nouvelle Mademoiselle Irnois est disponible dans plusieurs éditions, avec son titre en premier lieu ou dans le recueil Le mouchoir rouge, comme chez ebooksgratuits dans les versions numériques.