Dans les périodiques, où écrivaient Maupassant, James ou Tchékhov, la différence était nette entre les personnages et les lecteurs. Les personnages appartenaient à un univers inconnu de certains lecteurs. Certes, les pays lointains étaient un cadre fréquent des nouvelles publiées dans les journaux, mais l'exotisme social était aussi de mise. À l’époque, mettre en scène des pauvres gens, des paysans, des petits provinciaux, des prostituées ou des Apaches, plongeait le public dans un univers radicalement différent.
Les exemples abondent chez Maupassant qui n’a connu le monde rural que comme spectateur, jamais comme propriétaire ou fermier. Il était lié par contrat avec Le Gaulois et le Gil Blas, où ont paru pour la première fois presque toutes ses nouvelles. Ce sont tous deux des journaux que leur prix (15 et 13 centimes) et leurs sujets (menu du jour au Grand Hôtel, des anecdotes et échos mondains) rendent accessibles seulement à la haute société.
La nouvelle a intégré la contrainte et les libertés que lui donne la presse. S'adressant à travers les journaux à un public qu'elle connaît d'avance, elle n'est jamais tenue à ménager ses personnages, puisque ceux-ci ne liront pas les textes. La nouvelle aiguise les clichés, rend des jugements mordants et elle discrédite le plus souvent ses personnages : qui aurait envie de rencontrer un personnage de Maupassant sur son chemin ?
Aujourd’hui, les choses ont un tantinet évolué : la circulation de l’information permet de connaître les milieux très différents du sien, mais placer une aventure personnelle dans un cadre bien différent peut aider à alléger la charge mentale. Des films comme Un indien dans la ville ou Les dieux sont tombés sur la tête sont des exemples de ce décalage à moindres risques.