Barbey d’Aurevilly, un auteur diabolique

Le 07/07/2023 0

Barbey d’Aurevilly fait partie des grands classiques avec son recueil "les Diaboliques". 150 ans après sa parution, est-il toujours un modèle ?

Comme tout recueil, il serait indécent de tout adopter ou tout rejeter d’un bloc. Bien sûr, la personnalité de l’auteur transpire dans ses propos : catholique, petite noblesse et monarchiste, pour faire court. Le fond des six nouvelles présentées en 1874 (alors que, dans la préface, l’auteur en promettait six autres) est marqué de ses préférences, de son milieu et de ses obsessions. À prendre ou à laisser, chaque lecteur est libre et responsable de ses choix ; il peut aussi lire ou relire Barbey d’Aurevilly pour sa culture générale, pour savoir de quoi il parle – autant l’auteur que le lecteur.
Mais la manière de conter ces histoires est-elle un modèle pour des auteurs d’aujourd’hui ?

Le style de Barbey d’Aurevilly est encombré ; bien des digressions mènent vers des détails superfétatoires. Il donne même l’impression d’en avoir conscience quand il déclare : Mon cher, ma parenthèse est longue , fait-il dire au docteur Torty témoin du bonheur dans le crime. Les moyens pour arriver à ce résultat dérangeant le lecteur moderne consistent à ajouter au profil physique d’un personnage des éléments de sa généalogie, évoquer le père, la mère, une sœur, voire un grand-parent, aborder un ou plusieurs moments de son passé depuis l’enfance jusqu’à ses amours officielles et  surtout les extra-conjugales, ses choix de fréquentation ou sa carrière militaire, sans oublier de commenter chacun des aspects déjà cités et de consacrer de nouvelles lignes interminables à l’environnement du quidam, autant pour décrire ses habitudes personnelles que ses relations mondaines ou ses défauts jusque dans l'intimité. Relisez cette dernière phrase dans un seul souffle, n’est-elle pas fastidieuse ?

Ce point, plutôt négatif, reflète une pratique désuette ; mais d’autres qualités le compensent et l’auteur moderne peut encore s'en inspirer : cette beauté mâtinée d’élégance décadente, estime Philippe Caste sur Babelio.
Prenez la nouvelle Le dessous de cartes d’une partie de whist, elle souffre des aspects décriés, pourtant elle serait incompréhensible sans l’évocation des personnalités rencontrées et le détail du réséda, glissé au milieu d'une partie de cartes, se retouve dans l’explication finale auréolée d'un silence qui, "dans un salon spirituel, après une histoire, est le plus flatteur des succès".
C'est donc l'excès plutôt que la présence des informations qui a pris un coup de vieux. Par contre, pour manier sa barque, Barbey d’Aurevilly sait y faire : il mène ses lecteurs où bon lui semble, quitte à en perdre en chemin. Le lecteur attentif ou l'auteur en formation décompose les éléments de la nouvelle (personnages, lieux, enchaînements, ordre de présentation, simple allusion furtive, etc.) conduit à un profond respect d’ensemble.

Par ailleurs, les auteurs des siècles précédents possédaient un grand avantage sur nos contemporains : ils n’avaient ni peur, ni honte d’utiliser le vocabulaire à leur disposition ; ils haussaient les lecteurs à leur niveau plutôt que s’abaisser au leur !
Rencontrer de vieux roquentins, recevoir de chattemites visites, croiser une femme aux lèvres sibilantes n’arrivent plus que dans ce type d’ouvrage.

En conclusion, lire et relire les Diaboliques est un voyage dans des situations datées, le style peaufiné et le lexique laissé de côté ; c’est aussi un appel à l’analyse minutieuse du récit, sa construction lente et progressive, donc une source profitable. Mais choisir Barbey d’Aurevilly en vue d'un moment de détente sur la plage revient à préferer les devoirs de vacances à "vivre en lézard"… encore une expression un tantinet oubliée.

auteur analyse lecture

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